aigri remotivé nouvelle sociale


L'aigri remotivé

Dès son entrée chez les grands, la sixième, ses parents lui fixèrent l'objectif (avant c'était l'insouciance mais à douze ans on est soucieux du devenir... chez ces gens-là) : la comptabilité, au minimum le bac, si possible, et it will be fabulous, le BTS.
Tu aurais tout mon fils, une belle voiture, une grande maison et la plus belle woman car avec une telle situation toutes les femmes te courront après. La reconnaissance sociale, et father si fier de toi.
Et il l'a obtenu son BTS comptabilité, certes à vingt-quatre ans, certes à la seconde tentative (comme son bac d'ailleurs) mais peu importe, après l'armée, la "vie active". Dans un grand groupe en plus ! Avec de nombreuses perspectives comme lui affirma l'adjoint du DRH qui l'embaucha.
Alors il a rêvé le fiston du vieux père qui lui ne rêvait plus, il se voyait déjà cumuler revenus faramineux et hautes responsabilités, j'aime commander et j'ai prouvé à l'armée je savais le faire, j'suis pas resté un p'tit troufion, Moi. Moi : il s'est toujours prétendu le meilleur, sans jamais rien faire pour le devenir.
Hyper motivé il se donna à fond, et ses supérieurs le félicitaient. Bien p'tit gars, t'es sur la bonne voie, t'as tout l'avenir devant toi... Il ne comptait jamais ses heures, lui. Certes, ce n'était pas passionnant mais c'était le début, du matin au soir, devant un écran à passer des écritures, saisir des bordereaux ou des chèques.
Niveau amour aussi il a rêvé, comme pour la majorité les échecs se sont accumulés ; il s'est longtemps cru intéressant en s'appropriant une remarque entendue à la télévision : de toute manière seul le fric intéresse les filles.
Trois ans après son embauche il était persuadé qu'un grand complot orchestré contre lui l'empêchait de monter dans la hiérarchie ; il était pourtant simplement comme l'ensemble du "plateau" : marié (avec une collègue du service informatique), blasé, se traînait, toujours à la bouche "font chier" ou "que des cons", la seule perspective offerte aux douze "amis" étant la succession du chef de service, seize ans plus tard.
Aujourd'hui encore, du matin au soir il pianote mais sa vie est ailleurs. Il s'est trouvé une passion, une mission, la politique, il milite. Enfin quelqu'un a dit : oui il existe un complot contre les braves gens, et moi le premier je suis la victime d'une puissante et occulte machiavélique conspiration internationale, mais nous allons écraser nos ennemis. Et, au moins une fois par mois il participe aux réunions "secrètes", "stratégiques", "analytiques". Il croit l'instructeur : il est un leader local potentiel ; peut-être même, sûrement même qu'un jour le bureau central le recevra, le présentera à une élection, mais pour l'instant son rôle est essentiel, collecter des informations sur son entreprise, le groupe, ses collègues, ses voisins.
Il rêve : son dieu à l'Elysée, le doigt sur le bouton nucléaire pour redorer le blason de la nation, la police aux ordres. Il en est per-suadé : bientôt il tiendra sa revanche, le parti saura récompenser ses fidèles, aura besoin d'hommes de confiance, de sa compétence.

Un paumé endoctriné. Essayer de le sauver ? On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux, de plus il n'en vaut pas la peine. Beaucoup regardent ainsi ces pauvres types. Oui mais, en se perdant c'est le pays qu'ils perdraient avec eux. Si la haine triomphe il y aura beaucoup de morts, chez les salauds, chez ce genre de manipulés, mais aussi chez les démocrates.
Car son rêve pourrait devenir notre réalité cauchemar. Toutes les dictatures se sont appuyées sur des relais du peuple, les collaborateurs, des minables, des écrasés, des aigris qui ont vu dans un despote le vent de l'histoire les appeler. Ces frustrés sont alors les plus véhéments, les plus bornés, les plus cruels.
Ils sont ainsi des milliers (plus ?) à espérer cette lugubre nuit. Mais, et ils l'ignorent, l'heure de gloire des collabos est brève, la majorité de ceux qui favorisent l'implantation d'une dictature périssent en "héros" ou en "traites". Car la propagande d'une dictature réclame "héros" et "traites" ; sont alors sacrifiés les moins utiles et trop ambitieux.
S'ils raisonnaient ces pantins lutteraient contre la haine. Mais non, trop d'humiliations au quotidien font d'eux les complices poten-tiels de la grande honte. Humilié on devient vite bête et méchant.



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